Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/44

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ce bienheureux programme ; je l’emportai chez moi, et, déjà couché, j’y lisais et relisais mon nom imprimé. C’était de l’extase.

« C’était la deuxième année que je passais à Copenhague. La somme qui avait été recueillie pour moi était dépensée ; mais j’avais honte d’avouer ma misère. Je demeurais chez une autre veuve ; je ne prenais chez elle, en fait de nourriture, que le café du matin. Vinrent alors des jours bien sombres. La brave femme s’imaginait que je dînais dehors, chez des gens charitables ; mais souvent je n’avais qu’un petit pain que je mangeais sur un banc du palais royal. Rarement je me hasardais dans une gargotte ; si je m’y hasardais, je me glissais timidement vers la table la plus écartée.

« En réalité, j’étais alors très abandonné ; mais je ne sentais pas tout le poids de mon isolement. Tout homme qui me parlait amicalement, je le regardais aussitôt comme un ami sincère ; je n’avais aucun fiel contre la société. Dieu était avec moi dans ma chambrette, et bien des fois, après avoir fait ma prière du soir, je lui demandai, comme un enfant, si bientôt cela n’irait pas mieux.

« J’avais entendu dire que ce qu’on faisait le jour de la nouvelle année, on le faisait pendant l’année entière. Mon suprême désir était d’obtenir un rôle dans une pièce. Vint le jour de l’an. J’allai rôder le matin devant le théâtre ; il n’y avait personne dans tout le bâtiment, excepté le vieux portier, à moitié aveugle, qui était assis devant sa loge. Je me glisse sans être aperçu de lui, et, le cœur tout palpitant, j’arrive à travers les coulisses sur la scène ; le rideau était levé par hasard. Je tombe à genoux et je veux déclamer une des belles tirades que je savais par cœur ; mais dans mon