Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traction pour me reposer de mon théâtre de marionnettes.

« Dans cette même maison de campagne habitait le futur professeur Tiele, alors jeune étudiant. Il était une des rares personnes qui me disaient la vérité ; les autres se moquaient de moi, se réjouissaient des drôleries que je laissais échapper dans ma naïveté. On m’avait surnommé le Petit déclamateur ; j’étais un simple objet de curiosité ; moi, tout ingénument, je prenais les sourires que provoquait ma singularité pour des approbations.

« Un homme, qui est devenu plus tard un de mes bons amis, m’a raconté qu’il me vit alors pour la première fois dans le salon d’un riche négociant ; j’étais invité comme phénomène, on me pria, pour s’amuser, de réciter une de mes pièces de poésie. Je le fis, à ce qu’il paraît, avec tant de sentiment, que les railleries se changèrent en applaudissements sincères.

« Tous les jours j’entendais dire que je ferais bien de m’instruire ; mais on ne faisait rien pour me mettre à même d’étudier. J’avais bien assez de peine à vivre. J’imaginai alors d’écrire une tragédie et de la présenter au Théâtre-Royal ; l’argent que je pensais en retirer, je le consacrerais à faire mes études. J’avais déjà écrit, il y avait quelque temps, une tragédie, la Chapelle de la forêt, dont j’avais pris le sujet dans un conte allemand. Guldberg m’avait déclaré qu’elle n’avait rien de bon, sinon qu’elle m’avait servi d’exercice d’orthographe.

« Cette fois, j’inventai mon sujet moi-même ; en quinze jours ma pièce fut terminée ; elle s’appelait les Brigands de Vissenberg. La grammaire y était fort maltraitée ; je finis par mettre dans le secret, que j’avais gardé à l’égard de tous,