Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/88

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Et la recherche aurait pu se terminer là, si elle n’avait donné un résultat qui dépassait infiniment les données du problème proposé. Car voici ce que l’on découvre.

Les sources de Suidas avaient toujours occupé Nietzsche. Dans les cas fréquents où Diogène coïncide avec Suidas, fallait-il penser, comme on a fait souvent, que Suidas puise dans Diogène ? Un tableau comparatif des renseignements que nous avons sur les parents, les collatéraux, les surnoms, les précepteurs et les disciples des philosophes, et sur leur genre de mort, fait ressortir de curieuses ressemblances entre Suidas, Diogène Laërce et Hésychius. Mais c’est Hésychius qui apporte les renseignements les plus abondants et les plus précis. Il a puisé à une source plus riche ; et, de proche en proche, la conclusion s’impose que cette source est Démétrius de Magnésie. Mais les ressemblances entre Diogène Laërce et Suidas s’expliquent avec une éclatante évidence, si l’on admet que ce même Démétrius a dû être à l’origine de Dioclès, où puise Diogène, et d’Hésychius, où puise Suidas. Ainsi, avec une simplicité lumineuse, Nietzsche débrouille l’écheveau complexe des traditions littéraires grecques et en établit l’union foncière. Dès Noël 1867 cette intuition l’avait obsédé ; et les renseignements s’étaient cristallisés, abondants et pressés, autour de cette hypothèse. Un fait se faisait jour pour lui : c’est qu’on n’atteint à la vérité profonde que par divination.

Ritschl, par des éloges, par des encouragements, par des collaborations étroites qu’il exigeait de Nietzsche, multipliait les séductions qui devaient attacher à la philologie ce disciple d’élite. Combien de temps Nietzsche lui est-il resté fidèle ? En 1866, avec cet impérieux besoin de tenir en tutelle ses amis, il écrivait à Deussen :

Il faut de l’érudition et de la routine ; c’est-à-dire de l’expérience, et de l’exercice. Donc apprenons et digérons beaucoup.