Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/89

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Mais il ajoutait aussitôt : « Cherchons, combinons, inférons. » La philologie n’ouvre les horizons d’une pensée qu’à l’érudit solide. Elle lui fournit un plan de vie intellectuel, et avec lui l’énergie qui guérit la mélancolie inhérente à toute incertitude nerveuse[1]. Nietzsche conseille à Deussen, égaré dans la théologie, cette discipline rigoureuse. Il n’a de cesse qu’il ne le sache occupé à quelque travail spécial sur Evagoras de Chypre, sur Photius, ou sur Tacite, par lequel il célèbre « ses noces avec la philologie »[2], Ritschl le retient, par ses qualités humaines, par son magnétisme personnel, plus que par sa doctrine. Nietzsche révère en lui une autorité dénuée de morgue, l’amitié ingénieuse à deviner les besoins et les vœux discrets d’un cadet, et ce tact de la vérité qui faisait son impeccable « conscience scientifique »[3]. « Je ne peux donc ni veux me détacher de lui », ajoute-t-il. Mais comment dans la force de cet attachement ne pas apercevoir déjà des tendances contraires ? Sa pensée est une arène où se battent des forces opposées. Dès le début l’influence de Ritschl est contrecarrée. Une puissance impérieuse en Nietzsche se soulève contre ceux qu’il aime, dans le temps même où il les aime. Cette puissance hostile n’était pas alors la musique. Schumann restait son délassement plutôt que son étude. Richard Wagner, dont il joua pour la première fois la Walkyrie dans sa retraite de Koesen, où il fuyait le choléra en octobre 1866, lui laissait « des impressions mêlées »[4]. La tragédienne Hedwig Raabe venue à Leipzig pour une tournée en juillet 1866, lui laissa au cœur une image puissamment fascinante, mais qui ne le détourna pas de son chemin[5].

  1. P. Deussen, Erinnerungen, pp. 29, 30. — Corr., I, 52.
  2. Ibid., 31. — Corr., I, 70.
  3. P. Deussen, Erinnerungen, p. 33. — Corr.. I, 72.
  4. Corr., I, 25
  5. Corr., I, 34.