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voix pour pleurer le divin Achille. Par degrés le vocero improvisé se fit plus savant. Des aèdes de métier et des voceratrices salariées en furent les exarques. On chanta de vrais poèmes ; et la lamentation collective du chœur les accompagnait de refrains appris par cœur et devenus traditionnels.

Un genre lyrique particulier naquit de cette plainte funèbre, le thrène. Faut-il ajouter que nous avons des exemples à peine idéalisés de ces lamentations lyriques, dans les ϰομμοί (kommoi) de la tragédie[1] ? Qu’on relise la grande lamentation alternée que prononcent, sur la tombe d’Agamemnon, Oreste et Électre dans les Choéphores ; ou le chant dialogué entre le chœur et Cassandre dans Agamemnon ; ou encore, dans l’Ajax de Sophocle, le gémissement lyrique qui commence quand on retrouve le cadavre du héros. Dans les Suppliantes d’Euripide, lorsque défilent sur la scène les sept civières avec les cadavres, le roi Adraste et les mères en deuil des héros morts entonnent la plainte dialoguée sur le massacre des chefs argiens ; et Adraste fait en personne l’éloge de chacun des chefs. Dans les Troyennes, tandis que la fumée et la flamme montent de l’Acropole incendiée d’Ilion, le chœur à genoux frappe le sol pour invoquer les morts, et Hécube chante le thrène de deuil sur l’enfant Astyanax qui, la tête écrasée, est couché dans le bouclier creux d’Hector.

Ces ϰομμοί (kommoi) tragiques conservent un fragment essentiel de la primitive tragédie. Ainsi Xanthos, le héros de l’humble drame agreste, a dû être pleuré à sa mort. Le rite carnavalesque du culte de Dionysos fournissait une structure dramatique. Cette μίμησις δρώντων (mimêsis drôntôn) qui fait, selon

  1. Là-dessus les ingénieuses remarques de Martin P. Nilsson, Neue Jahrb. f. d. klass. Altert., t. XXVII, p. 624 sq.