Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/104

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Thrace, aujourd’hui encore, la phallophorie parcourt le village. Une vieille femme porte un berceau d’osier (λίϰνί) où un enfant merveilleux grandit à vue d’œil, et de nourrisson devient adolescent, puis jeune homme à marier. Ainsi dans les cultes antiques, l’enfance miraculeuse de Dionysos, depuis le berceau (λίϰνον) où il grandit, jusqu’à son mariage avec Coré ou Ariane ou avec d’autres déesses, était l’objet de rites à Athènes ; et sa mort aussi était commémorée, qu’on se le figurât lui-même comme le héros blond qui succombe, ou qu’il assistât comme arbitre à la lutte des deux principes qui incarnent sa double essence, la vie printanière et la mort.

Dans ces humbles représentations du carnaval populaire thrace, l’épouse du héros mort se jette sur le cadavre et commence une lamentation rituelle, à laquelle prennent part les refrains funèbres de tout le cortège. Il a dû en être ainsi dès l’antiquité. Le rite cultuel fournissait comme une première action mimée. Des personnages agissent, dont le premier est Dionysos lui-même. À la mort du héros, qui souvent sans doute a été le dieu en personne, une autre coutume populaire reprenait ses droits : celle du thrène funèbre. Martin P. Nilsson fait remarquer avec raison que ça dû être là une des racines de la tragédie.

Il n’y a pas d’homme qui, à sa mort, n’ait droit à son tribut rituel de lamentations. Les femmes et les plus proches parents s’en acquittent d’abord. Homère nous dit dans l’Iliade (chant XXIV) les lamentations d’Andromaque et d’Hécube. Un chœur se joint bientôt à cette improvisation funèbre. La famille, la tribu interrompt de son gémissement la plainte rythmée qui dit les mérites du mort et la douleur des survivants. Agamemnon décrit dans l’Odyssée (chant XXIV) les chœurs de Néréides et de Muses qui, dix-sept jours durant, alternent leurs belles