Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/107

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nir héros de cette grande lamentation chorique, entrecoupée de récits, qui constitue la tragédie. Par une invention audacieuse et délicate, Phynichus dans les Phéniciennes et dans la Prise de Milet ; Eschyle, dans Les Perses et dans Les Sept contre Thèbes, firent chanter le thrène de l’ennemi mort. L’orgueil de la cité victorieuse s’exaltait par le deuil visible de la cité vaincue.

Tout est dit sur le progrès qui a transformé le dialogue du drame, en augmentant le nombre des acteurs, qui ordinairement se réduisait à l’unique ἐξάρχων (exarchon). faut ajouter que la tragédie, après avoir été un rite sacramentel, servit davantage ensuite à l’édification. Le rapport se précise donc entre la tragédie et les mystères ; et Albert Dieterich a raison de le rappeler[1]. Le contenu des mystères était une action dramatique sacrée, où Déméter et Coré, puis Dionysos apparaissaient en personne. Il y avait des chœurs et une déclaration (πρόῤῥησις) de l’hiérophante. La liturgie d’un mystère ramène toujours l’acte ou le fait salutaire (αἴτιον), auxquels est dû l’effet sacramentel en vue duquel elle est instituée. La tragédie d’Eschyle se joue en stolé, c’est-à-dire dans la robe des hiérophantes. Elle parcourt un vrai cycle liturgique. Elle a sa péripétie, qui ramène au fait sacramentel commémoré. La fondation de la fête des flambeaux fut le sujet de Prométhée. La fondation de l’Aréopage est au fond de l’Orestie. Les Etnéennes célébraient la fondation de la ville d’Etna. L’Œdipe à Colone de Sophocle glorifie la tombe miraculeuse du héros. À la fin un message divin (θεἰα ὰγγελία) rappelait le temps où Dionysos en personne paraissait dans un mariage sacré, ou pour décider de la destinée d’un homme, vivant ou mort.

  1. V. aussi P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, p. 457-498. Il est à craindre toutefois qu’une partie de cette reconstitution ne soit conjecturale.