Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/204

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tifier ce qui diffère pour la sensibilité, que consiste l’intelligence. Pourtant Nietzsche n’a-t-il pas dit que la logique est elle-même toute sophistique, toute métonymie ? Oui, sans doute, mais ses sophismes se trouvent consacrés par la pratique. L’homme bon est l’homme assez intelligent pour utiliser dans la conduite envers les autres hommes des procédés qui ont convenu à nos relations avec l’univers. Peut-être la bonté, la pitié sont-elles des sophismes destinés à réussir.

Or ils réussissent, car par eux notre vue de l’univers se transforme et s’élargit. Elle était science ; elle devient philosophie. La morale vulgaire de l’équité considérait les hommes comme des vouloirs égaux et qui se respectent par prudence. La morale de la justice et de la pitié considère qu’il n’y a peut-être pas de différence entre les vouloirs. Se mettre à la place d’autrui jiar l’imagination et agir envers les autres hommes, coutumièrement et par sentiment, comme s’ils étaient nous, c’est leur dire qu’on ne croit pas qu’ils diffèrent de nous en leur fond. C’est leur dire que l’on tient la différence des personnes, ou leur antagonisme, pour des apparences dues à la forme de notre conscience individuelle. La perception et l’intelligence élémentaire seules nous diversifient. L’intelligence élargie et le sentiment profond feraient apparaître une même racine de volonté dans tous les vivants et peut-être dans tous les êtres.

3. Morale et métaphysique. — Pouvons-nous prouver que ce soit là la vérité ? La pensée manifeste de Nietzsche est que nous ne pouvons pas encore le prouver du point de vue de la morale. L’art seul nous fera saisir, par intuition, la justesse de cet aperçu provisoire. Mais déjà nous avons une présomption qui nous autorise à penser que nous approchons du vrai. C’est que dans la pitié et dans la bonté nous éprouvons une joie grave et eni-