Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/302

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À elles trois, ces puissances, la Force, l’Ordre, la Science, sont l’apoUinisme étendu jusqu’à ses dernières limites : donc elles doivent prendre possession du monde. Elles représentent encore une fois la civilisation hellénique, élargie, diffusée à travers le globe habité, par la guerre, par la loi, par l’intelligence. Jamais le sang ne coula davantage. S’ensuit-il que l’humanité ait péri ? En regard la puissance adverse grandit : l’absolu mysticisme. « À mesure qu’augmente le radicalisme de la pensée, le déploiement du dionysisme aussi se fait plus grandiose. » Pour quelle œuvre ? Pour que cet apoUinisme élargi et ce dionysisme engendrent un génie plus vaste que tous ceux du passé [1].

Une puissance en effet égale en force le génie militaire, le réalisme romain et la science : c’est le dionysisme total, c’est-à-dire le pessimisme, le renoncement. Subtile ruse du Vouloir-vivre. Pour soustraire les hommes à la nécessité de mourir, il leur inspire le culte de la mort. Il y a un Dieu plus puissant que Zeus, c’est le Dieu qui abdique devant la vie : Dionysos-Hadès. Fantôme exsangue et fanatique, il fera de la terre une demeure de spectres, pâles aussi et fanatiques.

Novalis, un jour, dans les Hymnen an die Nacht, avait montré que la splendeur des dieux antiques s’était écroulée quand s’était approchée du festin divin la pensée de la mort. Pour Nietzsche, il ne peut être question de découvrir dans la mort la vie éternelle.

Du bist der Tod und machst uns erst gesund,


avait dit Novalis de Jésus. Nietzsche ne nomme pas le « fils de Zeus » de son nom chrétien. Mais on le devine. Après une courte période d’équilibre entre les instincts

  1. Einzelne Gedanken, § 202 fin. (W., IX, 263.)