Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/303

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adverses, « le monde hellénique d’Apollon est intérieurement submergé par les puissances dionysiennes. Le christianisme y était préexistant ». L’Évangile de Jean est né de ce sol dionysiaque. Ce Jésus transfiguré est un avatar du Dieu martyrisé qui revient du pays des morts ; « un fruit de l’esprit même d’où étaient nés les mystères » . Cela marque une grave recrudescence du sacerdotalisme [1].

La venue de ce Dieu annoncera le règne des prêtres. Dans une discussion comme celle où Prométhée, plaidant devant les dieux, avait obtenu pour les hommes tous les biens de la terre, la prêtrise, sous le fils de Zeus, se montrerait l’universelle accapareuse [2]. Commencerait alors le règne de Dionysos-Hadès, où une humanité rabougrie vit dans l’indigence et dans la peur, courbée devant son Dieu-fantôme. C’est le moyen-âge, l’ère de la haine contre la Grèce et où faillit mourir de débilité, comme les hommes, Zeus qui avait voulu les extirper.

Le drame de Nietzsche se fût ouvert sur cette humanité corrompue, devenue l’ombre d’elle-même. La puissance des dieux olympiens n’est plus. Adrastée, la destinée vengeresse, a repris les foudres de Zeus. Le dieu funèbre a répandu l’oubli sur les Olympiens délaissés. Prométhée, créateur des hommes, et à qui personne n’a pu arracher le secret des causes qui devaient amener la chute des dieux helléniques, savoure à présent sa vengeance. Fantôme impuissant à son tour, le vautour envoyé par Zeus, oublie de lui dévorer le foie, et médite à haute voix sur ce cataclysme des mondes.

Prométhée cependant, oublié aussi, n’aura-t-il pas enfin pitié des hommes, qui se consument dans la plus chétive et tremblante existence ? Il leur envoie son frère

  1. Einzelne Gedanken, §§ 203-205. (W., IX, 263.)
  2. Prometheus. (W., X, 488.)