Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/107

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jours de pousser à la plus haute intensité la force et les qualités du vouloir. Erzeugung eines neuen Selbst und einer neuen Zeit[1] : cette définition de Fichte désigne avec exactitude l’effort que Nietzsche réclame de nous.

Rien ne décèle mieux le caractère profond d’une métaphysique que le lien établi par elle entre l’unité de l’être et les individus multiples. Chez Fichte toutes les existences individuelles sont reliées par une pensée unique, qui pose pour toutes un unique monde d’objets. « Quand cent personnes aperçoivent un clocher, il y a cent représentations de ce clocher ; mais il y a un clocher, et non cent ; et toutes ces images se replongent dans l’unité objective[2]. » L’individu existe à proportion de la part qu’il prend à cette grande pensée objective. Il existe d’une existence qui n’a rien de fixe et d’inerte, mais qui se déploie sans cesse par un effort d’attention mobile dans une croissante conscience. Il peut refuser cette attention et cet acte conscient de réflexion. C’est là sa liberté. Elle existe même quand elle se dérobe, mais c’est quand elle s’exerce qu’elle atteint sa plénitude. Sa vision de l’univers et sa vie entière gagnent en profondeur et en étendue à mesure qu’il diversifie et tend son vouloir attentif. Son individualité est toute dans cet acte. Et comme cet acte est différent en toutes les libertés, tous les hommes différeront donc irréductiblement. « Die Freiheit ist es, was gespalten wird[3]. » Combien y a-t-il de tels vouloirs ? On ne sait. Il y a une certitude : « L’homme ne devient homme que parmi des hommes. Les individus ne deviennent hommes que par l’éducation, faute de quoi ils ne deviendraient pas hommes… Si donc il y a des


  1. Reden an die deutsche Nation, I (Werke, 1845, t. VII, 265).
  2. Die Tatsachen des Bewusstseins, 1813 (Nachgelassene Werke, 1834, t. I, 517).
  3. Ibid., Nachlass., I, 319.