Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/110

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La croyance en la liberté, chez Fichte, est religion. Elle affirme qu’il y a en nous une vie créatrice absolue, analogue à celle de Dieu, et puisée en Dieu. Cette vie est précisément la pensée ; et nous nous la sommes librement donnée par la réflexion. Penser, c’est donc savoir qu’il y a un Dieu, et participer à sa création ; c’est savoir que, par le seul fait d’être des consciences, nous admettons d’autres consciences pareilles à la nôtre. C’est enfin vouloir l’accord de toutes ces consciences. La pensée est un lien vivant de libertés qu’il faut renouer dans la durée par un consentement sans cesse recréé.

Un tel lien est amour. Si nous le sentons en nous, c’est là l’épiphanie véritable de Dieu, et nous participons par lui à la vie divine. C’est-à-dire que nous formons en nous l’idée d’un ordre de choses qui devient sans cesse, qui n’est jamais actuellement réalisé, qui est futur à jamais, et auquel nous contribuons quand nous nous créons libres par la réflexion. Si différente que soit la psychologie de la volonté dans Fichte et dans Nietzsche, elle est toutefois conçue chez tous les deux comme un pouvoir créateur. « Es-tu une force nouvelle et un nouveau droit ? un mouvement premier ? une roue qui roule d’elle-même ? » Ces questions de Zarathoustra sont le questionnaire même de Fichte. Mais au sentiment de ceux qui créent ainsi des valeurs nouvelles et qui les répandent dans le monde, quel nom trouver, si ce n’est celui d’amour ? et de quel cœur viendront à eux ceux qui sentent en eux cette force créatrice et prodigue, si ce n’est d’un cœur rempli d’amour encore ?

« Que l’avenir et les plus lointaines choses soient causes de ton jour présent… Tu dois, dans ton ami, aimer le Surhumain comme ta cause. Mes frères, je ne vous conseille pas l’amour du prochain ; c’est le plus lointain que je vous conseille d’aimer. Ainsi dit Zarathoustra. »