Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/113

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l’idéal. Nous devenons ce que nous serons un jour, par une image de ce qui est éternellement. Par elle, nous réalisons de l’éternel dans notre vie quotidienne. Et par de grands exemples, on peut éveiller en tous les hommes l’envie de tracer au fond de leur âme une pareille image pour lui ressembler.

L’art, la science, la philosophie créent de telles images fascinatrices. Elles sont des signaux de feu, et supposent la flamme contagieuse de la vie dans l’âme qui les projette, mais la supposent aussi toute prête à enflammer l’âme où elles tombent. Nulle connaissance simplement historique n’y équivaut. Il ne suffit pas d’étudier « les qualités permanentes des choses » données en fait. Il faut le regard qui découvre sous ces qualités la nécessité qui les fonde[1]. Il ne s’agit jamais de répéter « des connaissances historiquement puisées dans un monde mort » ; mais de faire surgir des symboles où s’incarne notre pensée actuelle. Il s’agit de stimuler une activité de l’esprit régulièrement progressive, où la vision de l’avenir s’élabore par une création spontanée de la liberté[2].

Aucune prédication ne pouvait agir plus fortement sur Nietzsche. Car elle avait agi avec la même force sur Richard Wagner. Mais ce symbole dans lequel devait surgir la structure même des mondes, c’était pour Nietzsche l’œuvre d’art. Il la voulait parlante, et douée pourtant d’une parole toute voisine encore de la nature. Là encore il y a réminiscence de Fichte. Il y a une pensée et comme un organe social, par lequel les hommes perçoivent ce qui intéresse la collectivité, comme les perceptions et les organes des sens perçoivent ce qui intéresse le salut de l’individu. Les sons du langage sont les réactions que les choses produisent dans cet organe


  1. Reden, I (VII, 286).
  2. Ibid., V (VII, 332).