Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/115

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recrée intérieurement l’univers. Elle jaillit en flammes pures, issues de la source même de Dieu, dans la vie religieuse des ascètes. En tous, elle travaille à une même besogne : à l’ordre moral futur. Cette pensée de l’éternel à symboliser dans le passager, unit les artistes, les héros, les métaphysiciens, les ascètes dans une même besogne fraternelle. Les moines qui ont défriché les forêts vierges de Germanie et ont assumé, avec le plus dur travail, la patience inlassable de vivre au milieu de populations incultes et cruelles, sont frères des héros robustes qui ont courbé sous le joug des lois et de la vie pacifique le col rétif des barbares. C’est donc une vie religieuse que celle d’un Alexandre. Une idée métaphysique est devenue en lui « vivante flamme » et elle a dû consumer sa vie :

« Et que l’on ne me compte pas les milliers d’hommes, tombés dans son expédition ; que l’on ne me parle pas de sa mort prématurée. Que pouvait-il faire de plus grand, après la réalisation de l’Idée, que de mourir[1] ? »

Il y a eu un temps où tous les hommes suivaient avec un enthousiasme enivré leur instinct rationnel. Ils travaillaient d’eux-mêmes à la réalisation de l’ordre moral. Ils étaient tous des héros. Puis est venu le temps du sentiment confus, de la réflexion naissante, mais encore étiolée : l’énergie de la plupart a dû se concentrer sur des besognes de médiocre égoïsme. Un petit nombre d’hommes d’élite pousse alors en avant, des poings, du cerveau, du cœur, la masse rétive. Le chemin à parcourir est de revenir au point de départ, mais librement, et dans une claire conscience des choses. À nouveau, il faut que tous les hommes soient des héros. Il faut qu’ils dévouent tout leur effort au monde supra-sensible qui doit par eux


  1. Ibid., IIIte Vorlesung (VII, 48).