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CHAPITRE VI


SCHOPENHAUER



Le maître vrai de Nietzsche a dû être Schopenhauer, parce qu’en lui s’était faite cette synthèse de l’esprit romantique et de l’esprit gœthéen, qui sera le point de départ de Nietzsche. Tout le sens plastique acquis par l’humanisme allemand au contact des Grecs, et le sentiment romantique du mystère qui rôde dans la nature ; l’art d’analyser les procédés de l’esprit et de les réduire à un petit nombre de structures mentales foncières, et l’art opposé de retrouver sous les habitudes de pensée la vie fluide et continue de l’âme, symbolisée par la musique, voilà la quadruple conquête de la culture allemande à la fin du xviiie siècle. Schopenhauer la résume, Nietzsche l’a compris profondément. À l’époque où il met en garde son ami Paul Deussen contre la manie de faire ressortir seulement dans un système « les tares, les démonstrations manquées, les gaucheries tactiques », il a noté depuis longtemps dans ses carnets secrets les sophismes et les partis-pris les plus choquants de son devancier[1].

« Chez presque tous les philosophes, il y a peu de rigueur, il y a de l’injustice dans leur façon d’utiliser et de combattre leur devancier. Ils n’ont pas appris à lire et à interpréter comme il faut[2]. »



  1. Attention: Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner :Corr., I, 128.
  2. Menschliches, fragments posthumes, § 4 (XI, 14).