Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/19

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Elle a exigé un grand travail à la fois de scepticisme scientifique et immoraliste, les grandes découvertes maritimes, la cosmographie et les mathématiques nouvelles, toute une explosion sanglante de passions privées, civiles et religieuses d’abord en Italie. Puis la reconstruction se fit dans le rationalisme de Descartes, et par le style sévère de la vie et de l’art sous Louis XIV.

Mais ce rationalisme ne s’était-il pas figé à son tour dans les formes oppressives de l’État absolutiste, du catholicisme restauré, d’un luthéranisme qui défit tout l’acquis de la Renaissance ? N’a-t-il pas fallu un siècle de critique, la satire de Voltaire, le phénoménisme d’Hume, l’exégèse négative de Reimarus, la révolte passionnée du Sturm und Drang, le retour à l’antiquité, et, par dessus tout, le renouvellement de la Révolution française ? Un grand souffle platonicien passa, saisissant tous les arts, renouvelant la conduite de l’homme, fondant un cosmopolitisme républicain plus grand par son ambition que tous les rêves platoniciens de réforme panhellénique.

Platonisme enfin, la philosophie romantique. Elle acheva la critique du rationalisme. Elle prétendit, par Fichte, par Novalis, par Schleiermacher, atteindre sous l’écorce glacée des concepts le ruissellement intérieur qui se perçoit au fond de la conscience, et qui est notre personnalité vraie. Elle découvrit la vie mentale des collectivités. Car les grands faits sociaux, le langage, les coutumes morales, le droit, la religion, les formes d’art, qu’aucun individu n’invente, d’où naîtraient-ils, si ce n’est d’une Psyché sociale où plongent nos âmes pour y puiser leur vie ? Et ne faut-il pas dès lors, comme le croyait le Timée, aller jusqu’à admettre une « âme du monde » où se meuvent à la fois les âmes individuelles et les âmes des