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les matériaux dont Nietzsche a tiré parti. Sa biographie intellectuelle précisera l’heure où il les utilise et les litiges où il est engagé contre les hommes. Il faut distinguer entre les renseignements qu’il prend de toutes mains pour s’instruire, et les pensées qui lui servent de principe constructif. Les premiers sont utiles à le mieux connaître ; les secondes seules le font comprendre. Le nietzschéanisme se préparait par une longue incubation dans l’esprit de ses devanciers. On va décrire ici comment le système, avant d’être né, vivait en des esprits dont la pensée a passé en Nietzsche comme par une transfusion de sang spirituel.

Description pleine de risques ; car ces chantantes voix des pensées étrangères, dont il a fait son concert intérieur, se font entendre à tour de rôle : elles s’entremêlent, se taisent et reprennent. J’ai essayé de marquer ces recommencements, ces silences, ces simultanéités. De là le plan de ce volume. Il a fallu parler de Montaigne, de Pascal, de La Rochefoucauld, de Chamfort, longtemps après avoir parlé des Allemands du xviiie et du xixe siècles. L’influence de Burckhardt et d’Emerson se perçoit très tard, quand déjà la voix des moralistes français s’est fondue dans la grande orchestration générale du système.

Pour abréger cette étude, on a compté sur l’expérience et le sentiment vivant du lecteur. De certains thèmes, empruntés aux auteurs les plus grands, à Gœthe ou à Schiller, il a paru suffisant de les indiquer en accords brefs, pour les faire aussitôt reconnaître. Ailleurs, il a fallu une ana-

    dans Bücher und Wege zu Büchern, par Arthur Berthold, 1900 ; — 2o  La liste des livres empruntés par Nietzsche à la Bibliothèque de Bâle (1869-1879), publiée par M. Albert Lévy, professeur à l’Université de Strasbourg, en appendice à sa thèse complémentaire sur Stirner et Nietzsche, 1904.