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principes de beylisme que Jean-Jacques Rousseau a été si malheureux[1]. La passion satisfaite, au contraire, sera toute lumineuse et d’une « grâce corrégienne ».

Au terme, le bonheur le plus haut est donc plus qu’une science. Il naît du parfait accord entre une sensibilité exaltée, une volonté puissante et un jugement qui se fait jour en nous comme une illumination de génie. Cette intuition presque extatique est permise par instants à tous les hommes :

Le génie est un pouvoir, mais il est encore plus un flambeau pour découvrir le grand art d’être heureux… La plupart des hommes ont un moment dans leur vie où ils peuvent faire de grandes choses : C’est celui où rien ne leur semble impossible[2].

Cette illumination passionnée et grosse de vouloirs condense ce que des sorites entiers de raisonnements et des actes partiels lentement amassés ne contiendraient pas.

L’énergie que glorifie Stendhal unit la passion et l’intelligence dans un ardent foyer où brûlent toutes les fureurs sombres des sens et du cœur et que surmontent les lueurs de la froide intelligence. Le bonheur est là, et comme il médite de « grandes choses », il ne peut pas être égoïste.

Cette « justice » où Stendhal voyait la « vraie morale », parce qu’elle est le seul « chemin du bonheur », consiste à laisser chacun choisir sa félicité à sa guise, à la lui souhaiter et à l’y aider. Quelle apparence, en effet, que nous puissions goûter de la joie dans un monde de tristesse ? Le beylisme approuve que les sociétés s’organisent pour rendre possible le bonheur de chacun. Elles pratiqueront ainsi une plus expansive vertu que celle du devoir.

  1. Corr. inéd., I, p. 15.
  2. De l’Amour, I, p. 198. V. Léon Blum, Stendhal et le Beylisme, p. 175 : « Le bonheur, tel que Stendhal l’entend… »