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des formes politiques nouvelles jusqu’à la fin de Byzance, Toutefois ce qui importe, c’est le sort d’une certaine culture de l’esprit, qui a atteint à l’époque de la tragédie sa plus haute floraison. De cette floraison et de sa ruine, Nietzsche donne deux raisons différentes. Tantôt il voit dans la chute des Grecs, non pas une décadence, mais une catastrophe. Leur faute est certaine, et ils ont orgueilleusement provoqué la destinée. Mais la qualité de leur génie héroïque n’eût pas été la même, s’ils n’avaient couru le risque où ils ont péri. Tantôt il s’aperçoit que la civilisation grecque ayant été l’œuvre de la cité grecque, a dû périr avec la cité.

Or, pour Burckhardt et pour Nietzsche, l’État, malgré sa dureté, n’est encore qu’une force magique, une manière souveraine de fasciner les âmes, et en son fond un fait moral. La ruine de la cité tient donc à ce que les qualités de passion et d’intelligence, qui avaient fait la grandeur de la cité, s’étaient décomposées.

Burckhardt avait enseigné que les causes de la catastrophe grecque tiennent à la victoire grecque elle-même. Les défauts de la cité grecque éclatent depuis lors. Les guerres contre les Mèdes sont un immense ἀγών, où chaque État grec cherche à remporter la palme. À l’issue de ces guerres, la jalousie des cités ne connaît plus de bornes. Alors commence la lutte pour la suprématie militaire entre Sparte et Athènes. Aussitôt les Spartiates, au dire d’Isocrate, sont remplis d’injustice, d’immoralité, de désobéissance aux lois, et leur État ne se fait plus aucun scrupule de mépriser les serments et les traités[1]. À Athènes naît le rêve mégalomane d’un Empire attique fondé en Sicile, et la folle expédition a lieu, dont Athènes ne se

  1. Burckhardt, Griechische Kulturgeschichte, IV, p. 302.