Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/339

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à se montrer différent[1]. Au sommet, une foule de tyrans violents, grands et petits ; des condottières vainqueurs qui réclament des couronnes. Tous livrés à l’égoïsme le plus effréné et pleins du mépris de la justice. Un grand irrespect des droits traditionnels favorise tous les coups de mains. Partout une cruauté sans frein qui va droit aux fins les plus chimériques. Dans tout cela, Burckhardt admire à tout le moins la vigueur des tempéraments, une force de volonté qui n’eut point d’égale et une grande robustesse physique de la race, si différente de la débilité byzantine[2].

Comme dans son ouvrage sur Constantin, c’est par ce réalisme que Burckhardt a le plus de prise sur Nietzsche. Au lieu de moraliser, il proclame que chez ces hommes tous les vices ont un aspect par où ils apparaissent comme des vertus[3]. Les Italiens de la Renaissance sont irréligieux et méchants, voilà pourquoi ils atteignent au développement intellectuel le plus haut. Ils manquent de considération pour les pouvoirs publics nés de l’usurpation, de l’astuce et de la force. Ils se sentent mal protégés par eux et, à cause de cela, se chargent eux-mêmes du soin de se faire justice. Quand il y a un meurtre, la sympathie de tous est d’abord du côté de l’assassin. Le brigandage foisonne. Qu’importe ? Cette universelle violence et l’universelle vertu du courage devant la mort attestent un peuple viril. Le respect de la loi est petit, mais la soif de gloire est immense. N’est-ce pas là une grande ressemblance avec les Grecs de la période tragique ?

Ces Italiens ont dans la vengeance un acharnement qui leur vient de la vivacité avec laquelle leur imagination


  1. Burckhardt, Kultur der Renaissance, p. 105.
  2. Ibid., p. 331.
  3. Ibid., pp. 341, 364.