Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/373

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mort ; il n’a pas su affirmer la vie. Il s’est donc avoué vaincu.

Ce que réclame à présent Emerson, c’est une victoire que les sens eux-mêmes puissent apprécier, « une force de caractère qui convertisse les juges, les soldats et les rois », qui commande aux vertus cachées du règne animal et minéral, et leur soit supérieure ; qui se confonde avec la cause même de la sève des fleurs, des vents et des étoiles. Voilà l’homme que nous attendons, et cet homme, en qui vivra avec intensité l’âme suprême, the Oversoul, est-il exagéré de l’appeler le Surhumain ? N’est-ce pas enfin cet homme-là dont Nietzsche a voulu nous donner lui aussi le pressentiment dans Zarathoustra, que les lions caressent d’un mufle velu, et à qui des essaims de colombes font un manteau, pour signifier que le secret de la nature est pénétré ?

Il est celui « qui donne des ailes aux âmes et qui trait les lionnes ». Quand un dieu veut se mettre en campagne, disait Emerson, avec un pareil lyrisme, les cailloux eux-mêmes prennent des ailes pour le porter vers nous[1].

Ce dieu paraîtra-t-il ? C’est la grande attente emersonienne. Nous pouvons avec certitude créer le Surhumain, attirer adroitement dans le réel l’idéal d’universalité qui est en nous. Il suffit de le désirer avec force. Nos vœux sont toujours exaucés, s’ils exigent la sublimité. Les pensées les plus hautes sont celles qui conspirent le mieux avec la marche de l’univers. Nous pouvons solliciter par un charme magique cette âme pure, supérieure et originale, à descendre sur nous, fussions-nous les plus humbles : Le moyen, c’est de devenir nous-mêmes des âmes pures, originales et solitaires. Celui qui vit dans le calme, et qui, ayant fait le silence en lui, écoute parler

  1. Emerson, Fate. (Conduct of Life, p. 42, )