pensée gœthéenne, Nietzsche n’en puise pas moins dans Gœthe les leçons mêmes, dont paradoxalement il croit le Faust dénué. Pourquoi Gœthe a-t-il tant admiré Napoléon, si ce n’est « parce qu’il usait de l’univers comme Hummel de son clavier, avec l’aisance d’un génie toujours égal à lui-même, toujours rempli de l’illumination, de la clarté, de la décision intérieure, et en qui l’énergie suffit toujours à l’étendue de la conception »[1] ? Cet homme prodigieux avait en lui cette force productive qui enfante une postérité de conséquences, inépuisable dans tous les siècles, comme cette force qui animait Phidias ou Holbein, les premiers architectes gothiques ou Mozart. Nietzsche glorifiera Gœthe dans la Naissance de la tragédie pour avoir compris dans un Napoléon cette « productivité des actes », si surprenante à son siècle préoccupé de pure production imaginative[2]. Par là, Gœthe est de ceux qui conçoivent un type d’humanité à la fois plus capable de durer vigoureusement et de s’épanouir en plus grands exemplaires. En vérité, s’il s’agit de dire comment l’humanité actuelle, débile et grégaire, pourra produire ce « surhumain », dont Nietzsche a pu dans Faust recueillir le nom même, comment douter que Nietzsche ait gardé un vague souvenir au moins des formules de Gœthe, dans les Affinités : « Il faut que toute chose parfaite en son genre dépasse ce genre ; il faut qu’elle devienne quelque chose de différent, d’incomparable »[3] ? En quels termes
- ↑ Conversations avec Eckermann, 11 mars 1828 ; 7 avril 1829
- ↑ Geburt der Tragœdie, § 18 (I, 126).
- ↑ Gœthe, Wahlverwandtschaften, II, chap. xi : « Alles Vollkommene in seiner Art muss über seine Art hinausgehen, es muss etwas andores Unvergleichbares Werden. In manchen Tœnen ist die Nachtigall noch Vogel ; dann steigt sie über ihre Klasse hinüber und scheint jedem Gefiederten andeuten zu wollen, was eigentlich singen heisse. » Odile, en parlant ainsi, songe à elle-même. Elle n’est qu’une faible femme ; mais, par moments, à force de pureté héroïque dans l’amour, elle est surhumaine.