Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

boliquement une tâche morale qui est infinie. Nous transportons en eux par l’imagination, un vouloir réfléchi qui n’est qu’en l’homme ; mais nous avons à réaliser en nous-mêmes, c’est-à-dire dans une vie que la liberté rend changeante à l’infini, cette sûreté de démarche qui dans la nature est l’effet du rigoureux enchaînement des causes et des effets. L’enfant est pour nous le meilleur symbole de cette tâche qui nous est dévolue. Il est tout spontané, sans voiles et de réaction immédiate. Et, cependant, il recèle une virtualité infinie d’aptitudes non encore épanouies. Il est dans chacun de ses actes la pure nature, et dans sa destination l’infinie possibilité ; il représente en germe, l’intégrité entière de ce que l’adulte ne réalisera jamais, et la complète mission humaine. Nietzsche dans le Zarathustra n’oubliera pas ce qu’il a appris de Schiller : Par delà la force d’âme de ceux qui acceptent les lourds fardeaux du devoir, de ceux qui s’isolent dans un vouloir aux résolutions intangibles, il glorifiera le consentement insouciant, souriant, de l’enfant à la vie[1].

La « naïveté », pour Schiller, est une simplicité enfantine, en des hommes chez qui on n’attend plus cette simplicité. Elle est une force d’innocence et de vérité qu’il est donné à des âmes privilégiées et à des peuples élus de conserver. Les Grecs ont été un peuple « naïf ». C’est pourquoi ils savent si bien décrire la nature dont ils sont voisins. Ils la décrivent dans une mythologie tout humaine, car, leur humanité étant toute naturelle, ils ne voient pas pourquoi la nature ne serait pas elle-même voisine de l’homme ; et ils sont si satisfaits de leur humanité qu’ils ne peuvent rien aimer, même d’inanimé, qu’ils n’essaient de rapprocher d’une condition où ils se sentent si heureux.

  1. Zarathustra, Von den drei Verwandlungen (W., VI, 35).