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CHAPITRE III


HŒLDERLIN


I. L’idée de la Grèce nouvelle. — Un enseignement complémentaire et émouvant de la leçon qu’il recueillait de Schiller était venu à Nietzsche par celui des élèves de Schiller que le poète aima le plus, et qui a eu une destinée si voisine de celle de Nietzsche : Hœlderlin. Sans doute il n’a pu comprendre les Grecs. Ils sont pour lui le peuple héroïque de la jeunesse éternelle et de l’amour. Il les imagine dans une Arcadie, où ils coulent une existence d’harmonieuse liberté, interrompue à peine par des prouesses belles… Mais il a tant aimé ce paysage grec que, sans l’avoir vu, il l’a presque fait revivre. L’Attique, « où sous les platanes l’Ilyssos coule parmi les fleurs[1] » ; la verte Salamine, « enveloppée des ombres du laurier » ; Délos, fleurie de rayons ; toutes les îles ioniennes, « empourprées de fruits, aux collines ivres de sève », et qui étaient vraiment à son gré les îles bienheureuses, Hœlderlin les évoque dans une vision intérieure qui les lui rend présentes à les toucher. Il se promène réellement dans le silence qui règne parmi les ruines de marbre et se désole de n’avoir pas vécu parmi les grands morts de cette époque de beauté héroïque. Il imagine la vie grecque comme une amitié qui dura des siècles, et que toute « une

  1. Hœlderlin, Der Archipelagus (Éd. Litzmann, I, 219) ; Der Neckar (I, 201).