vie digne d’être vécue. La science, par son labeur, l’affirme digne d’être connue. C’est pour des raisons d’art et pour enrichir notre vie que nous allons aux Anciens. Mais veut-on que nous allions à une antiquité fausse ? Le savoir seul exhume pour nous dans son aspect réel cette Grèce que nous avons un besoin idéal de connaître.
La question homérique illustrait cette nécessité d’une alliance de l’art et de la science. Par où la prendre ? Bis auf den Herzpunkt dringen, enseignait Ritschl. Nietzsche précise : ce centre du problème, il faut le déterminer par un jugement de valeur emprunté à l’histoire de la civilisation (nach einer Culturhistorischen Wertbestimmung) [1]. Le problème homérique se prête mieux qu’un autre à élucider le rôle de la personnalité dans la création poétique ; et l’art de saisir et de définir la personnalité n’est pas vieux dans le monde.
Les romantiques allemands avaient eu, de ces choses, une enivrante vision. Ils avaient imaginé le Volksgeist, l’âme populaire créatrice. Pour eux, un poème naissait comme une avalanche. Autour d’un faible noyau, roulé par les âges, s’amoncelaient les additions lentes des siècles. Au terme, on avait l’œuvre d’art. Il ne fallait pas beaucoup de génie : tout au plus, cette poussée de début qui met en mouvement le tourbillon de la pensée sociale. Chaque pensée, tandis qu’elle passe, y ajoute. L’œuvre de la critique était de saisir le fragment primitif, l’Urepos, peut-être très humble.
Depuis F.- A. Wolf, la critique s’employait à cette besogne d’énucléation. Pour Nietzsche, c’est là une besogne vaine sur un problème mal posé. Il n’y a pas de poésie créée par des masses. Il y a un trésor collectif, mais les individus seuls y puisent. Toutefois le poète n’est
- ↑ Homer und die classische Philologie (W., IX, 8).