Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/131

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tout ce qui lui adviendrait d’heureux, il pensait offrir son tribut à Ritschl, et même de cette joie nouvelle qui lui était échue quand il lui écrivait de Tribschen, près de Lucerne.


II

l’idylle de tribschen


À Tribschen se consomma le destin de Nietzsche. L’importance vraie de la nomination qui l’avait appelé à Bâle vient de ce que Lucerne n’était pas loin. L’enseignement que retire un observateur philosophe de l’exemple d’une grande existence, Nietzsche l’a savouré à longs traits, quand il a pu vivre dans l’intimité de Richard Wagner. Ç’a été pour lui « ce sacre d’une culture de l’esprit plus haute », que Schopenhauer avait reçu en approchant Goethe.

À quelque distance de Lucerne, sur le lac, au pied du Pilate, est couché sur la berge ce village enfoui sous les arbres : Tribschen. Nietzsche y passa, durant une excursion qu’il fit, la veille de la Pentecôte 1869, le 15 mai. Oserait-il user d’une invitation que Richard Wagner lui avait adressée à Leipzig ? Il essaie, peu rassuré. Il sonne discrètement à la grille et fait passer sa carte. Richard Wagner, qui travaille, ne s’interrompt pas. Mais il se souvient du jeune savant et répond par une invitation à déjeuner. Nietzsche, retenu par des amis, ne peut accepter. Mais il fut l’invité de Wagner le lundi qui suivit, et encore les 5 et 6 juin. L’intimité fut immédiate, enthousiaste et très dénuée de cérémonie ; eine unbeschreiblich nahe Intimität, a écrit Nietzsche depuis [1]. On le traitait en grand fils et en vieil ami.

  1. À Georg Brandes {Corr., III, 301)