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Italie. Il faisait son Iter italicum en Allemand méthodique, fureteur et bien résolu à rapporter des Bibliothèques italiennes une ample moisson de manuscrits inédits. Pourtant ses yeux s’éblouissaient aussi du soleil italien, « qui sait transfigurer les ruines et les haillons »[1]. À Fiésole, avec Wilhelm Roscher, devant les fresques de Fra Angelico, il s’attendrissait de pure émotion chrétienne, comme jadis les peintres allemands de l’École nazaréenne, un Overbeck ou un Philipp Veit. Il transposait en langage schopenhauérien cette émotion. Le grand calme contemplatif, par lequel cette chaste peinture siennoise semble éteindre en nous toute fièvre de vouloir, semblait à Rohde la région même habitée par le génie. Il avait vu l’Étrurie, Naples et Sorrente, Pérouse et Assise. Rome et Florence avaient été des étapes prolongées et studieuses. Bologne, avec Francia et les Bolonais tardifs, le conquit ; et un charmant printemps à Venise avait apaisé sa « faim de soleil ».

Mais enfin il écoutait l’appel de Nietzsche. Ils se revirent, après trois ans d’absence, en mai 1870. Était-ce encore l’ensorcellement du nom de Schopenhauer qui les joignait ? Nietzsche avouait qu’il ne suffisait plus, « Toute spéculation philosophique est jeu d’imagination subjective, » Cette conviction s’ancrait fortement dans la pensée de Rohde depuis longtemps[2]. Par delà Schopenhauer leur accord était plus profond ; et leur culte commun pour Wagner en était le symbole plus encore que la cause. Souvent alors, le soir, Nietzsche jouait les Meistersinger.

Je songe aux jardins bienheureux où j’étais transporté quand (au printemps de 1870) Nietzsclie jouait l’air de Morgendlich leuchlet 4es Meistersinger. Ce furent les heures les plus belles de ma vie[3].

  1. Ibid., II, 146.
  2. Voir la lettre du 4 novembre 1868. — Corr., II, 80.
  3. Cogitata de Rohde, § 66 (dans Crusius, p. 246).