reflète pourtant et la juge. Dans sa solitude, elle prétend élaborer les réformes qui la transformeront.
Peut-être aurait-il été séduisant de condenser mon interprétation dans un essai court et ardent. Mais il aurait fallu supposer connu et éclairer par des allusions trop lointaines tout ce que je pense d’abord établir, j’aurais pu apporter la flamme d’une conviction, non la lumière d’un faisceau de preuves, j’ai préféré avec modestie un récit historique, destiné à décrire la genèse des œuvres. Pour chaque période, j’ai dû essayer ensuite de reconstruire systématiquement la philosophie de Nietzsche, puisque la cohérence interne en est encore contestée. De ces deux grandes tâches simultanées, je voudrais n’en avoir négligé aucune.
Il fallait d’abord songer aux œuvres de Nietzsche. Chacune d’elles est un vivant, construit du dedans par une âme qui a grandi et mûri. J’ai dû, derrière la lettre des ouvrages, chercher cette âme, et retrouver l’homme même. À ce compte, la philosophie de Nietzsche fait partie de sa vie, moins parce qu’elle est philosophie, que parce qu’elle est nietzschéenne. À son tour, la vie de Nietzsche éclaire sa philosophie, moins parce qu’elle est sa vie, que par l’évidence avec laquelle elle fait voir comment toute philosophie se nourrit d’un sentiment de la vie et traduit une expérience intérieure.
I. — Nietzsche a dit en propres termes :
« À supposer qu’on soit une personne, on a nécessairement aussi la philosophie de sa personne… Nous ne sommes pas des grenouilles pensantes, des appareils enregistreurs à entrailles frigorifiées. Il nous faut sans cesse enfanter nos pensées de notre douleur, et leur donner