Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expression serait impropre : car il n’y a rien au-dessus de la science, dans le domaine qui est le sien ; et l’on ne voit pas comment on établirai ; une hiérarchie entre ce qui est de son ressort et ce qui est en dehors d’elle. Il est vrai seulement que tous deux se préoccupaient des destinées de la civilisation générale.

Overbeck venait d’Iéna, où il avait été privat-docent. Mais il avait étudié à Tübingen et à Leipzig. Le séjour de ces deux universités avait laissé une forte empreinte à sa nature délicate, où s’unissaient par l’éducation et par l’hérédité, des cultures diverses. Son éducation française faite de pénétration psychologique, résista toujours[1]. Mais son patriotisme allemand s’était allumé à Leipzig au contact de Treitschke, son ami, son commensal, et qui enseignait déjà, quand Overbeck était encore sur les bancs. Son premier soin, quand Nietzsche chercha à publier son traité sur La Musique et la Tragédie, fut de s’entremettre auprès de Treitschke, directeur alors des Preussische Jahrbücher[2]. Il ne put le gagner ; et dès lors la question se posa pour lui de savoir s’il se prononcerait pour l’ami déjà illustre, aimé des gouvernants, et promis à de brillantes destinées, ou pour le jeune collègue, qui, dans un effort désintéressé, compromettait sa réputation scientifique. C’est une preuve de haute noblesse d’âme qu’Overbeck ait refusé d’entrer dans l’intolérance de Treitschke, et qu’il ait défendu Nietzsche, dont il n’était pas l’adepte, par pur sentiment d’équité et pour « toutes les nombreuses qualités qui le lui avaient rendu cher »[3].

Overbeck n’était pas de ceux qu’on enrégimente. Son expérience historique était trop avertie pour qu’il entrât

  1. Il avait été élevé à Paris jusqu’à l’âge de douze ans.
  2. V. sa lettre dans C.-A. Bernoulli, Franz Overbeck, I, p. 83.
  3. Ibid., I, p. 65.