Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de justifier les œuvres de la plus récente inspiration, surtout Tristan et Iseult, et de composer un plaidoyer assez vaste pour les justifier toutes. Il en vient de la sorte à réfléchir sur la forme d’art et sur les types d’humanité héroïque que nous offre le théâtre wagnérien en son entier.

Durant cette exploration, il découvre par delà Richard Wagner un art et un héroïsme dont les contours, de loin, semblaient se confondre avec l’art et l’héroïsme wagnérien. Pourtant derrière les figures et dans les brumes de la pensée wagnérienne, ces rêves qui se levaient étaient les siens. Quand se dissipa l’extase où avait eu lieu pour lui la révélation qu’il croyait celle d’un génie étranger, Nietzsche s’aperçut qu’il avait, à son insu, durant tout ce temps, écouté ses propres voix intérieures. Cette divination, il l’a eue très tôt, peut-être avant Lugano, et certainement plus tôt que nous ne pouvons le dire. Il faut se garder dès lors de considérer l’amitié entre les deux hommes comme banale. Ça été une joute, qui devait finir par un duel à mort, mais où Wagner a été probablement le plus imprudent des deux. Il était trop sûr de lui, de son jeu, de son art de fasciner les hommes. Il n’a pas vu grandir près de lui l’ambition d’une jeune et ombrageuse supériorité. Il a été surpris, quand il a senti au flanc la blessure.

Cosima Wagner, entre les deux hommes, supérieurement coquette, attisait à son insu leur rivalité et, dans le plus jeune des deux, l’ambition qui couvait. La haute approbation d’un goût aristocratique, par où elle dépassait Wagner, était l’enjeu de la lutte. Nietzsche a dû prendre sa résolution très jeune. Elle a été le fruit de la sensibilité la plus irritable, de la volonté la plus tenace, de l’appétit de domination le plus tyrannique, le tout enveloppé dans une générosité chevaleresque et dans une