Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/196

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arts se réunissaient dans ce centre brûlant et en rayonnaient ensuite. La psychologie wagnérienne faisait appel aux considérations d’un vague associationnisme, qui venait de Wilhelm Schlegel et que Wagner avait puisé dans un vieil ouvrage d’Anselm Feuerbach, Der vatikanische Apollo, 1833. Selon ces théoriciens, il semblait qu’il y eût entre les arts l’appel d’une solidarité naturelle qui, aux modulations du chant, fait accourir les paroles et complète l’attitude plastique par l’animation de la danse. Selon Wagner, cette collaboration disciplinait harmonieusement les arts, tandis que leur isolement les poussait aux prouesses d’une virtuosité vide de sens.

Nietzsche ne trouvait pas de force convaincante à ces réflexions d’opportunité. Il n’a ignoré ni Wilhelm Schlegel ni Anselm Feuerbach ; mais ce sont eux surtout qu’il a combattus les premiers. Il cherche une explication dans une analyse plus profonde de la conscience religieuse. Il découvre alors ce phénomène du dionysisme, extase dansante et visionnaire où une humanité encore très primitive crie et mime à la fois le sentiment enivrant et désespéré par lequel elle est initiée à la vie douloureuse de l’univers.

Nietzsche a eu raison de dire, plus tard, en 1872, qu’un écrit de Wagner : Ueber Schauspieler und Sänger atteste la conversion publique du maître aux idées du disciple [1]. Mais si elle était publique, était-elle avouée, et plus d’un emprunt, déjà dans le Beethoven (1870), n’était-il pas un larcin, dont Wagner se cachait ? Nietzsche en a eu quelquefois le sentiment, et il se froissait de n’avoir pas même les honneurs d’une citation.

Il reste que Nietzsche a été acheminé à sa découverte par Richard Wagner. Il s’agissait d’expliquer ce

  1. Lettre à Rohde du 25 octobre 1872 : « Wie fruchtbar gewendet erscheint mancher Gedanke aus der Geburt der Tragœdie ! {Corr., Il, p. 356.)