Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/217

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elle décrit le vouloir individuel s’abimant dans l’unité éternelle de l’être. Ainsi il n’y a pas de tragédie possible,il n’existe pas de sublime humain sans musique. L’antagonisme entre la liberté humaine et les forces brutales de la nature, seule la musique sait le rendre ; car elle vit au cœur des agitations du vouloir— vivre. La musique est l’accompagnement nécessaire du drame,comme le pathétique, c’est-à-dire la sublimité. Elle enveloppe le drame et le porte : il ne flotterait pas, s’il n’était baigné dans ce fluide musical où il se déplace. Ou encore le drame est de la musique devenue visible ; la musique est le drame perçu dans sa réalité immatérielle[1].

Mais Schiller, dont cette théorie est une transposition, n’était-il pas un des auteurs préférés de Wagner, et les plus souvent cités ? Et si les entretiens de Tribschen ont porté sur cette commune prédilection, pourquoi le Beethoven n’en aurait-il pas gardé la teinte ?

On en dirait autant de cette idée, naturellement amenée par la précédente, d’une fraternité entre Shakespeare et Beethoven. On la trouve dans les notes de Nietzsche, comme dans le manifeste wagnérien. Mais de qui vient-elle ? On les sent tout près de Gœthe tous deux, quand ils disent de Shakespeare que ses caractères vivent d’une mystérieuse et effrayante vie, comme des fantômes qui marchent. Mais Wagner ajoute : c’est que ces figures sont aperçues comme par seconde vue, dans une hallucination vraie [2]. Et elles demanderaient à parler en musique, si elles s’ouvraient à notre sens intérieur, comme aussi bien le Coriolan de Shakespeare ne livre toute sa signification que dans la musique de Beethoven. Inversement, les thèmes

  1. R. Wagner, Beethoven. {Schriften, IX, 105.) V. nos Précurseurs de Nietzsche, chap. Schiller, p. 46 sq.
  2. Ibid., IX, 109.