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avec un talent rare pour la poésie et la musique. Nietzsche a dit depuis : « On est beaucoup plus l’enfant de ses quatre grands-parents que de ses père et mère[1]. » Pourtant c’est à son père qu’il a cru ressembler dès son enfance ; et c’est son image qu’il se proposait comme un exemple de perfection: « Je ne suis qu’une réédition de mon père ; et je continue sa vie après sa mort si prématurée », écrit-il dans l’Ecce Homo[2], Son talent et sa distinction avaient désigné Karl-Ludwig Nietzsche pour être, tout jeune, précepteur des petites princesses de Saxe-Altenburg. Ces princesses sont encore venues à Bâle, plus tard, voir Nietzsche, en souvenir de leur maître. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV remarqua le jeune pasteur, et lui donna, pour ses débuts, cette paroisse importante de Roecken, où devait naître, le 15 octobre 1844, l’enfant de génie qui porte les prénoms de ce roi de Prusse.

À l’arrière-plan des souvenirs de Nietzsche, il y aura toujours ce presbytère natal de Roecken, sur l’ancien champ de bataille de Lützen, deux fois sanglant. Une église moussue domine la bourgade ; des étangs ourlés de saules étincellent sur la plaine triste et ils y débordent au printemps. Près du cimetière, on voyait la maison du pasteur. Toute rustique avec sa grange et ses étables, elle surgissait entre un verger et un jardin très fleuri[3]. Les rosiers grimpants et la vigne vierge envahissaient les murs. Des charmilles invitaient au repos. Au premier étage, un cabinet de travail aux rayons surchargés de livres et de rouleaux manuscrits était le refuge du studieux ecclésiastique. Aux heures de loisir, Karl-Ludwig Nietzsche se mettait au piano. Passionné de musique,

  1. Nachlass de 1882-1888 (W., XIII, 289).
  2. Ecce Homo (W., XV, 17).
  3. On en trouvera la photographie dans E. Foerster, Biogr., I, p. 368.