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condisciple, l’avait initié à la poésie lyrique allemande dès l’âge si malléable de la dixième année. Tout aussitôt ses lectures prennent forme d’art. Il n’est pas sans importance qu’il ait distingué trois périodes dans sa poésie d’écolier entre 1854 et 1858. D’abord, il eut le goût de l’héroïque et de l’horrible, des scènes d’ouragan et d’orage. Puis il se dégoûta de cette poésie violente et rocailleuse ; mais au lieu de la grâce qu’il cherchait, il n’atteignit qu’une mièvrerie parée des fleurs fanées d’une rhétorique vieille. Alors il résolut de concilier ces antithèses, la force et la beauté. Il voulut être limpide et plein de pensée, se proposant pour modèles les poèmes de Gœthe « d’une limpidité d’or si profonde »[1]. Ce qu’il faut remarquer, c’est cette fluctuation consciente, qui va d’un contraire à l’autre et concilie les extrêmes après avoir éprouvé le danger qu’il y a à persévérer dans l’un d’eux. Il ne procédera pas autrement dans l’âge viril. L’instinct enfantin trouvait déjà sa route. Déjà aussi il redoute une « poésie de l’avenir » qui parlerait en images singulières, chargées de revêtir des pensées confuses, mais d’apparence sublime, « dans le style du second Faust ». Il a peur instinctivement, on peut le dire, de sa destinée, et il la repousse. Il a « la haine de tout ce qui n’est pas classique »[2].

Il en fut ainsi en musique. Le don musical luttait avec une force impérieuse chez lui contre le don littéraire. Sa passion là encore est tout de suite indiscrètement productive. À neuf ans, il avait commencé à jeter sur le papier des textes bibliques accompagnés de plain-chant[3]. Dans une maison amie où fréquentait Félix Mendelssohn, il entendait interpréter avec justesse les grands maîtres classiques et romantiques. Sous les voûtes de la cathédrale,

  1. E. Foerster, Biogr., I, p. 76.
  2. Ibid., I, p. 77.
  3. Ibid., I, 190.