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rencontrer Ritschl C’est le premier homme qui lui ait donné l’idée parfaite de la maîtrise. Sans doute, il ne sut pas tirer, tout de suite, tout le parti utile d’une telle direction. Un travail sur Simonide, bien qu’il fît entrer Nietzsche au « séminaire » où Ritschl n’accueillait que des disciples sévèrement triés, resta sans gloire. Nietzsche n’avait pas encore la maturité qui accepte les obligations d’une discipline aussi rigoureuse dans sa liberté. Du moins se sentait-il déjà gagné par ces habitudes d’absolue netteté dans la méthode que Ritschl imposait avec une passion de réformateur. Le projet que Nietzsche avait eu de joindre l’étude de la théologie, traditionnelle dans sa famille, à l’étude des lettres grecques et latines, fut mis à néant dans une seule conversation avec le maître terrible. Ritschl était un puritain de la science. Il ne concevait pas qu’on entrât dans l’investigation scientifique avec une foi qui en sophistiquait d’avance les résultats. Nietzsche pensera-t-il toujours ainsi ? Il a pensé plus tard que les sciences historiques doivent être les servantes actives d’une grande croyance civilisatrice. Sa critique ultérieure de la philologie et de l’histoire devra être considérée pour une part comme une agression contre Ritschl et comme une façon de s’affranchir. Ritschl lui enseigna un premier affranchissement : il émancipait Nietzsche de ses ancêtres. Dès l’instant que la probité intellectuelle était du côté du savoir, la décision de cette âme, scrupuleuse jusqu’à la maladie, était prise : « Meine Wendung zur Philologie ist entschieden »[1], écrit-il pour le chagrin de sa mère, dès janvier 1865. Et tout de suite son observation aiguë se mettait au travail pour saisir le fort et le faible d’une âme de philologue.

Ce qui importait à Nietzsche dans Ritschl, c’est que sa

  1. Corr., V, 93.