Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/129

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quel espoir de réparer les effets funestes de la haine qui les sépare ? Empédocle achève le mysticisme de l’amour parménidéen. Il place notre espérance en la force qu’il appelle Aphrodite. Elle est connue de tous ; mais peu la connaissent comme un principe métaphysique. En tous les êtres, il existe des affinités pour d’autres êtres, qu’ils recherchent d’amour. Malgré les embûches dressées par la haine, ils se joignent. De la rencontre naissent des formes nouvelles. À leur tour, elles luttent contre les forces mauvaises. La survie appartient aux plus aptes. C’est là une pensée que la science a pu oublier pendant des siècles, mais le transformisme moderne l’a reprise [1]. Et la métaphysique d’un Schopenhauer n’a-t-elle pas soutenu que le fond des choses était sans doute esprit, mais aussi violente et aveugle poussée du vouloir (φιλία (philia) et νεῖϰος (neikos)) ?

Ainsi s’achève, pour arriver à la perfection, la série des anthropomorphismes moraux. Anaximandre a voulu satisfaire à notre besoin de justice ; Héraclite à notre besoin de beauté ; Empédocle à notre besoin de fraternité. En 1873 Nietzsche soumet cette gradation à Cosima Wagner. Il prétend appeler ses sympathies sur des doctrines modernes qu’elle hait sans les comprendre. Wagner avait enseigné dans Lohengrin que le dieu, c’est-à-dire le génie, vit exilé parmi les hommes. Il avait répondu à leur haine par un enseignement de pitié. Un appel puissant de notre amour doit rassembler les amours éparses et en refaire l’universelle vie qui soutiendra les mondes. Mais cet amour, Wagner le voulait éclairé. Son Wotan porte en lui la conscience totale et claire du monde présent. Comment ne pas se rendre compte alors qu’il y fallait

  1. Die Philosophie im trag. Zeitalter, Fortsetzung, § 5. (W., X, 96.) — Die vorplatonischen Philosophen, § 14. (Philologica, t. III, 196 sq.).