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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/170

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Était-il vraiment philosophe ? C’était peut-être surtout un artiste. Quand on s’est senti soulevé comme Platon par « cette aile qui pousse à l’âme, au contact du beau », on est l’artiste-né. On tient le monde des représentations pour plus vrai que le réel. C’est la croyance admirable de tous les génies. Des images puissantes les obsèdent, issues de leur instinct profond. Comment ne les croiraient-ils pas plus vraies que les choses tangibles ? Mais alors d’où vient chez Platon cette haine de l’art qui ordonne de reconduire à la frontière de la République, tous les poètes, excepté les poètes religieux ? C’est là pour Nietzsche un fait morbide. Platon déchire sa propre chair. Au vrai, Platon rivalise avec les orateurs, les sophistes, les dramaturges. La composition informe de ses dialogues, flottante entre tous les styles de la prose, du lyrisme et du drame, n’est concevable que par la joute avec tous les genres existants. « Phidias et Platon n’auraient pas existé sans la tragédie [1]. » Nietzsche alors de réfléchir : « Que serais-je moi-même sans la tragédie de Wagner ? Ne suis-je pas aussi une nature d’artiste balancée entre l’art oratoire, le lyrisme, le drame ? » Il se reconnaît frère de Platon, d’abord par cette versatilité décadente.

Les images sur lesquelles Platon fixait sa contemplation étaient des idées pures. Pour Nietzsche, au début, plus on est loin de l’être en soi, plus on approche de la beauté pure, de la bonté vraie. Il ne lutte pas encore contre ses instincts d’artiste : il les affirme ; et il pose cet aphorisme, par lequel on peut définir son premier système et le dernier :

Ma philosophie est un platonisme renversé [2].

  1. Sokrates und die Tragödie. (W., IX, 53 sq.) — Die Tragödie und die Freigeister, 58, 111. (W., IX, 102, 123.) — Zukunft unserer Bildungsanstalten, 4e leçon. (W., IX, 394.)
  2. Geburt der Tragödie, posth., § 153. (W., IX, 190.)