Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/18

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laisse l’unité s’en dégager comme une vie profonde. Quand il la sent surgir, voici que d’eux-mêmes les projets de livres d’un classicisme nouveau s’échafaudent en lui. Des signes en marge des manuscrits rapprochent les maximes destinées à faire groupe. Alors, le Zarathustra, malgré ses discours disjoints, prend figure de symphonie et de poème ; et un dernier ouvrage, tout métaphysique, le Wille zur Macht, s’ordonne par grandes masses symétriques. Une image simplifiée et architecturale delà civilisation et du monde sort de ces ouvrages inachevés. Ainsi les Carnets du Vinci ont beau ne contenir que des esquisses. Malgré « le sublime et effroyable pêle-mêle » de ces feuillets[1]. qui ne voit dans quel ordre puissant se disposait l’univers pour une tête qui pressentait toutes les méthodes de la science moderne ?


II. — Mais une autre difficulté arrête l’historien de Nietzsche. Il n’a pas de doute sur la force unificatrice invisible qui tend à souder entre eux tous les fragments. Il sait que cette pensée élimine bien des déchets. Il y a des ébauches négligées pour toujours et d’autres que Nietzsche retouche avec une régularité obsédante. Il faut réintégrer les ouvrages achevés dans le chaos des aphorismes non utilisés. Les œuvres, alors, paraîtront émerger d’une pensée mouvante et une, plus vaste que ses réalisations partielles, et qui est la vraie pensée de Nietzsche. Cette pensée aurait pu choisir d’autres plans. Elle en a envisagé beaucoup. Pour tous les ouvrages fragmentaires, pour le dernier système surtout, l’embarras est grand d’arrêter le plan définitif qui doit guider l’exposé. Parfois, parmi les plans auxquels

  1. L’expression est du célèbre architecte suisse, ami de Jacob Burckhardt, Henri de Geymüller. (Gazette des Beaux-Arts, 1886, I, 364.)