Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/228

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avaient enseigné, une adaptation plus parfaite de l’esprit humain à la réalité naturelle.

Cette réalité toutefois, il va en avoir un autre sentiment ; et on ne voit à ce changement d’autre explication que la joie de se sentir déjà vainqueur dans la joute entreprise contre Schopenhauer et Wagner pour les dépasser. Visiblement Nietzsche est sûr à présent de son originalité. Il en est sûr parce que sa pensée prolonge dans des régions nouvelles non seulement le système de Schopenhauer, mais la pensée des philosophes grecs, la pensée d’Emerson et celle de Lamarck,

Des raisons d’opportunité ont motivé la IVe Intempestive sur l’œuvre de Richard Wagner. Pourtant, elle se justifiait aussi par des raisons internes. Elle reprend toute la marche du livre sur la Naissance de la Tragédie. Mais elle fonde autrement la légitimité de l’art. Nous n’avons pas, dans les notes qui ont préparé l’Unzeitgemaesse sur Bayreuth, d’indications sur la nouvelle théorie de la connaissance et sur une nouvelle morale que nécessitait ce glissement du système. Mais les notes d’esthétique abondent [1] ; et n’est-ce pas par l’analyse du génie dans l’art que se confirmaient toutes les hypothèses provisoires de la connaissance et de la morale ? Ainsi ces notes brèves d’une esthétique, où Bayreuth apparaît éclairé d’une lumière toute moderne, nous aideront à reconstituer les idées centrales du système modifié.

Entre 1870 et 1874, Nietzsche concevait l’étoife du monde comme faite d’une impersonnelle mémoire, d’une imagination collective où plongent les esprits à leur insu et d’un vouloir collectif où les êtres puisent leur énergie. Il n’abandonne pas encore avant 1876 ces grandes métonymies. Mais ce vouloir, cette imagination et cette

  1. Elles occupent au t. X des Œuvres posthumes les pages 427-469.