Page:Andreïev - Les Sept Pendus (Trad. Serge Persky), 1911.djvu/121

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tait, sans prier, sans même bien s’en rendre compte : « Joie de tous les affligés ! » Et alors il se sentait soudain soulagé ; il avait envie de s’approcher de quelqu’un qui lui était cher et de se plaindre doucement :

— Notre vie !… Mais est-ce donc une vie ? Eh ! ma chère, est-ce donc une vie ?

Et ensuite, subitement, il se sentait ridicule ; il aurait voulu offrir sa poitrine aux coups, proposer à quelqu’un de le battre.

Il n’avait parlé à personne, pas même à ses meilleurs camarades, de sa « joie de tous les affligés » ; il semblait ne rien savoir d’elle lui-même, tant elle était profondément cachée dans son âme. Et il l’évoquait rarement, avec précaution.

Maintenant que la peur du mystère insondable qui se dressait devant lui le recouvrait complètement, comme l’eau recouvre les plantes du rivage pendant la crue, il voulait prier. Il eut envie de se mettre à genoux, mais la honte le prit devant la sentinelle ; et, les mains jointes sur sa poitrine, il murmura à voix basse :