Page:Andreïev - Les Sept Pendus (Trad. Serge Persky), 1911.djvu/131

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C’est ainsi que, pour ceux qui s’élèvent en ballon, la boue et la saleté des rues étroites sont invisibles et la laideur se mue en beauté.

D’un mouvement inconscient, Werner marcha vers la table et s’y accouda du bras droit. Hautain et autoritaire par nature, on ne lui avait jamais vu une attitude plus fière, plus libre et plus impérieuse, ni un pareil regard, ni un tel redressement de tête, car jamais encore il n’avait été aussi libre et aussi puissant que maintenant, dans cette prison, au seuil du supplice et de la mort.

Devant ses yeux illuminés, les hommes prirent un aspect nouveau, une beauté et un charme inconnus. Il planait au-dessus du temps, et jamais ne lui était apparue si jeune cette humanité qui, la veille encore, hurlait comme une harde de fauves dans les forêts. Ce qui lui avait semblé jusqu’ici terrible, impardonnable et vil, devenait tout à coup touchant et naïf ; c’est ainsi qu’on chérit chez l’enfant la gaucherie de la démarche, le bégayement décousu où étincelle le génie