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LA VIE D’UN POPE

Vers le milieu de la semaine sainte, le père Vassili se sentit à bout de forces, tant les pénitents se pressaient nombreux à son confessionnal. Le dernier de tous fut le misérable petit moujik Triphon. Il était cul-de-jatte, et se traînait sur ses béquilles à Znamenskoié et dans les hameaux environnants. Ses jambes broyées dans un accident, à la fabrique, avaient été amputées au ras du ventre, et il n’en restait que des tronçons très courts que la peau avait recouverts ; entre les épaules surélevées par les béquilles s’enfonçait une tête malpropre, comme garnie d’étoupe, avec une barbe sale et inculte, et des yeux effrontés de mendiant ivrogne et voleur.

Comme un reptile, il rampait dans la boue et la poussière, et son âme devait être obscure et mystérieuse comme sont les âmes des animaux.

On ne savait au juste par quels moyens il arrivait à vivre ; il vivait cependant, s’enivrait, se battait, et, même, il possédait des femmes, des femmes comme lui, dénuées de toute humanité.