Page:Andreïev - Les Sept Pendus (Trad. Serge Persky), 1911.djvu/26

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çante ; elle était sortie du cadran et commençait à vivre d’une vie distincte, en s’allongeant comme un immense rideau noir, qui partageait la vie en deux. Avant elle et après elle, nulle autre heure n’existait : elle seule, présomptueuse et obsédante, avait droit à une vie particulière.

En grinçant des dents, le ministre se souleva dans son lit et s’assit. Il lui était positivement impossible de dormir.

Avec une netteté terrifiante, en serrant contre sa figure ses mains boursouflées, il se représenta comment il se serait levé le lendemain, s’il n’avait rien su. Il aurait pris son café, il se serait habillé dans le vestibule ; et ni lui, ni le suisse qui lui aurait mis sa pelisse, ni le valet de chambre qui lui aurait servi le café n’auraient compris l’inutilité de pareils soins… Le suisse aurait ouvert la porte… Oui, ce bon suisse prévenant, aux yeux bleus, au regard franc, aux nombreuses décorations militaires, c’est lui qui aurait ouvert de ses propres mains la porte terrible.