Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
NOUVELLES

comme d’une chose résolue depuis longtemps et irrévocable. La plupart en parlaient avec indifférence, comme d’une affaire qui ne les regardait pas, telle une éclipse de soleil, visible dans l’autre hémisphère et intéressante pour les savants seulement ; la minorité s’exaltait en discutant ; le gouverneur méritait-il une punition aussi cruelle ? Valait-il la peine de supprimer quelques personnalités si le régime restait le même ? Les opinions étaient partagées ; mais les adversaires les plus irréconciliables se disputaient sans chaleur : on eût dit qu’il était question non pas d’un événement qui pouvait s’accomplir, mais d’un fait arrivé, auquel nulle opinion ne peut plus rien changer. Et chez les personnes cultivées, la discussion passa bientôt dans le domaine de l’abstraction ; le gouverneur fut oublié comme s’il était déjà mort.

De ces échanges de vues il résultait que le gouverneur avait plus d’amis que d’ennemis ; beaucoup de ceux qui préconisaient en théorie les assassinats politiques lui trouvaient des excuses ; si on eût voté en ville, la grande majorité, guidée par divers motifs théoriques ou pratiques,