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PRÉFACE

elle erre pâle et mélancolique, parlant peu, cherchant à s’isoler. Malgré les prières de ses parents elle refuse de dire ce qui l’oppresse. Un soir elle se jette sous un train, emportant son secret avec elle.

La mère, atteinte au plus profond de son être par la perte inattendue de sa fille adorée, est frappée d’une paralysie qui la transforme en une sorte de cadavre vivant. Ébranlé par ces deux catastrophes simultanées, qui lui ont enlevé tout ce qui faisait la joie de sa vie, le père Ignaty souffre de la révolte de sa conscience, qui s’insurge enfin contre les maximes sévères et les préjugés impitoyables qu’il a toujours défendus. L’amour tendre, qu’il avait jusqu’alors dissimulé par orgueil, s’empare maintenant de lui ; il sent qu’il est lui-même la cause de ses malheurs. Sa vie passée, sa fille, sa femme elle-même lui apparaissent comme autant d’énigmes qui soulèvent dans son âme des questions angoissantes. Il appelle, mais personne ne lui répond. Un silence de mort a envahi le presbytère, silence plus épouvantable encore autour de la femme qui agonise et dont les yeux mêmes ne trahissent aucune pensée. Alors, un désir féroce de savoir la cause du suicide de sa fille s’empare de lui et ne le quitte plus. Quand il pénètre dans la chambre de sa femme et qu’il y rencontre son regard fixe, si