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LE CAPITAINE EN SECOND KABLOUKOF

autres avaient au moins un chien qu’ils chérissaient et qui les aimait aussi. Par un étrange enchaînement de pensées, Kabloukof se rappela Koukouchkine. Pourquoi Koukouchkine l’aimerait-il ?… Koukouchkine ?… Qu’était Koukouchkine, au fond ?

Se levant pesamment, le capitaine prit la lampe et s’en alla à la cuisine. Le soldat dormait la tête jetée en arrière. De la main gauche, il tenait encore la botte, la droite pendait lourdement. Son visage était pâle et maladif. C’était la première fois que l’officier voyait dormir Koukouchkine ; il lui sembla être en présence d’un autre homme. Pour la première fois, il remarqua les petites rides de ce visage jeune et imberbe ; cette physionomie plissée dont un sourcil était un peu relevé lui parut inconnue, mais plus proche que celle qu’il voyait tous les jours, car c’était celle d’un « homme ». L’impression était si nouvelle et si bizarre que le capitaine sortit de la cuisine sur la pointe des pieds et regarda autour de lui avec perplexité : il lui sembla que la pièce avait changé aussi.