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L’ÉTRANGER

En sa présence, on ne chantait que des chansons convenables, personne ne taquinait Raïko, et l’hercule Tolkatchef, dont la servilité n’avait pas plus de limites que l’insolence, l’aidait complaisamment à mettre son pardessus. Souvent Karouéf oubliait à dessein de le saluer et l’obligeait à faire des tours comme un chien savant.

— Hé, viande, soulève donc la table par le pied !

Tolkatchef obéissait d’un air satisfait.

— Maintenant plie cette pièce de monnaie.

Tolkatchef la pliait et disait, embarrassé :

— Mon papa pouvait faire un nœud avec un tisonnier.

Mais Karouéf ne l’écoutait déjà plus et s’en allait parler à Tchistiakof, assis à l’écart. Il traitait toujours ce dernier avec gravité, avec une sollicitude attentive, tel un médecin ; quand il conversait avec lui, il le regardait de près, amicalement. Et Tchistiakof aussi avait pitié de Karouéf et l’engageait à l’accompagner à l’étranger.

— Eh bien, vous partez bientôt ? demandait Karouéf.