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NOUVELLES

Le gouverneur fronça les sourcils d’un air furibond et l’adjoint du commissaire, après avoir salué, fit quelques pas en arrière. Il aurait voulu que le gouverneur remarquât le petit chemin soigneusement balayé et saupoudré d’un peu de sable, aménagé entre les cadavres, mais le gouverneur ne voyait rien quoiqu’il regardât à terre.

— Trois enfants ?

— Trois, Excellence ! Faut-il enlever la toile ?

Le gouverneur ne répondit pas.

— Il y a des personnes de tout rang, Excellence ! insista respectueusement l’adjoint qui, prenant le silence pour un acquiescement, lança un ordre : « Ivanof, Sidortchouk, vite, prenez ce bout-là, allons ! »

La toile grise et maculée glissa avec un petit bruit et l’une après l’autre apparurent les taches blanches des visages, barbus et vieux, jeunes et glabres, tous différents, mais reliés entre eux par la terrible ressemblance que donne la mort. Les blessures et le sang n’étaient qu’à peine visibles, dissimulés sans doute par les vêtements ; seul un œil crevé par les balles, noircissait un visage d’une façon bizarre et pleurait des larmes