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Page:Andre Suares Voyage du Condottiere Vers Venise, 1910.djvu/118

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voyage du condottière

drainent en même temps qu’ils le retournent, ils respirent la vase et ils irriguent la boue. À demi artisans, laboureurs du maïs et du riz, ils crèvent de jeûne, ils se consument de privations. Ils sont chargés de famille. Les enfants naissent dans la fièvre et croissent dans la fièvre. Et ceux qui ne sont pas malades ont toujours faim. La pellagre les épuise. Tous, patients à miracle. Tous, pleins de respect jusqu’ici pour les maîtres de la terre et la race divine des riches, qui se nourrit de viandes et de pain blanc. Puis, quand ce peuple si soumis, si prodigue de sa sueur, si docile au destin, quand ce peuple perd patience, alors ils perdent aussi le sens. Ils deviennent fous, soudain. Ils ne voient plus que l’objet de leur rage et celui de leur désir. Ils se ruent à la guerre sociale, à l’incendie, au meurtre. Ils sont les mêmes qui ont suivi Spartacus et toutes les révoltes d’esclaves. Mais on ne domptera plus les serfs avec les légions, parce que dans les légions, il n’y a que les serfs qui servent. La force du maître, c’est la volonté de servir dans l’esclave. La force de l’esclave, c’est la haine du service. En un sens, la haine délivre : elle enchaîne les maîtres, et délie les opprimés.

Le pays est soumis aux lois les plus rudes, et les plus propres à engendrer la haine dans le ventre goulu de la misère. Toute la terre est aux mains de quelques grands possesseurs, qui font gérer d’immenses domaines par des régisseurs durs et âpres. Le travail est fourni par la plèbe agraire, au salaire strict de la faim. Ils donnent leur vie, pour recevoir la pâtée qui les empêche seule de la perdre.

Les prêtres sont nombreux et puissants dans la province, servis étroitement par les riches qu’ils servent. Haïs depuis peu, redoutés et moqués de la plèbe, qu’ils ont seuls tenue en bride, et