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Page:Andre Suares Voyage du Condottiere Vers Venise, 1910.djvu/121

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voyage du condottière

d’avoir partout à défendre sa vie. Là comme ailleurs, je vis bien qu’elle est condamnée à périr, si on ne l’aide pas à se survivre, en la maintenant dans ses bandelettes.

Des enfants hardis et loqueteux, arrogants et blêmes, m’envisagèrent droit sous le nez. Deux étaient très beaux, des frères sans doute, l’œil bleu pétillant d’esprit. Mais les autres, laids, sales, suant la vanité à pleins pores, trop faits, l’air de savoir la vie, me dégoûtèrent, obstinés à suivre mes pas, gluants, avides de plaire et, s’ils ne plaisent pas, prêts à se venger par une amère raillerie.

Et leurs parents, sur le pas des portes, au coin des ruelles, les baisent avec transport. Ces pauvres en guenilles cachent la révolte dans leurs manches. Leurs bras maigres annoncent, avec force, les temps nouveaux ; et les temps sont toujours proches, pour ceux qui veulent croire. L’esprit d’anarchie, qui empêche la plèbe de ronfler dans l’église socialiste, souffle la flamme sur Mantoue. Ces paysans italiens ont l’éloquence que le Nord ne connaîtra jamais : ils ont le sang qui ose ; et s’ils s’endorment, l’ironie juive les réveille, cette ironie si riche de sens humain.

Ainsi, le peuple se grouille, comme les germes et les insectes, le soir, dans toutes les moyères hérissées de roseaux tristes. J’ai lu leur journal : il mérite la victoire. Seul, il a une valeur morale dans ce pays rongé par les mauvais riches et qui porte le capuchon hypocrite de la doctrine. Qu’est-ce que la vertu, sinon ce qu’on vaut pour la vie ? Les marécages du Mincio n’ont pas détrempé toute l’ardeur de cette ville. Mantoue me semble à souhait pour la rébellion et la bataille des rues : elle ne revivra que dans l’incendie et dans le sang ; ou bien, sans combat, l’ancien ordre tombera en miettes avec les maisons. La ville s’enfonce, et le peuple se lève.